Voyez cette femme qui espère un jour meilleur à son réveil. Observez cet homme qui laboure sans fin, sanglotant, suant, saignant. Surveillez cet enfant qui étouffe sa flamme divine devant un précepteur déjà enterré. Que font ces malheureux à écouler leur vie dans l’attente d’un plus doux lendemain? Détournez-vous de ces spectres du passé! Délaissez la pioche et débouchez les tonneaux! Vêpre la festive, Vêpre la masquée, Vêpre l’enivrée sera votre paradis!
“Le Fol espoir”, comédie d’Avhor
Les terres
Le palatinat d’Avhor, bénéficiant d’un climat tempéré et d’un positionnement singulier sur les bords de la baie d’Ambroise, fut dès sa création orienté vers l’exploitation des terres arables. Vignobles, houblonnières et cultures maraîchères parsèment les champs de la province et fournissent les matières premières essentielles aux boissons de qualité qui font la réputation d’Avhor. Le territoire est ainsi finement découpé et entretenu à l’intérieur de domaines agricoles articulés autour de manoirs ou de fortins détenus par la petite noblesse qui, paradoxalement, n’est que peu supervisée par la chancellerie de Vêpre. Cependant, ce laisser-aller par rapport à la principale richesse du palatinat est amplement compensé par le rayonnement inégalé de Vêpre, la capitale, dans laquelle se déroule la majorité des échanges commerciaux. Comme le confirme l’expression consacrée, en Avhor, vos pas ne peuvent que vous mener à Vêpre.
Érigée au centre du lac Dive, sur la minuscule île du même nom, la capitale exige des semaines d’exploration pour devenir familière à l’oeil étranger. Le jour, le calme et la simplicité apparente de la ville aux mille vins sont susceptibles de décevoir le voyageur inexpérimenté qui en sillonne les artères. Effectivement, entre le lever et le coucher du Soleil, la Place aux Fêtes de Vêpre est essentiellement occupée et animée par les marchands de vin, de bière et de liqueur des campagnes environnantes. Par contre, le soir venu, les rues et les ponts reliant la cité à son faubourg vibrent aux sons des ménestrels et des tragédiens qui offrent leurs prestations aux passants et, dans le cas des artistes réputés, aux aristocrates et négociants. C’est cette vie nocturne qui fait l’honneur de Vêpre et qui justifie son surnom de l’Étoile du Soir.
Enfin, le lac Dive se jette dans la baie d’Ambroise par l’entremise de deux rivières jumelles : l’Astésia et l’Orellia. Si ces affluents ne se distinguent guère des autres cours d’eau du royaume, le modeste delta qu’ils forment entre leurs lits était couvert jusqu’en 322 d’une luxuriante forêt réservée aux chasses du prince et des seigneurs-palatins visitant Vêpre. Le Bois-du-Trône était entretenu en permanence par des forestiers directement placés sous les ordres de la famille Filii afin d’assurer aux dignitaires une expérience unique. Malheureusement, peu de scribes furent disposés à décrire avec précision les attraits de cette forêt, la roture et la moindre noblesse en étant exclues d’emblée. Néanmoins, on raconte que des jardins secrets et des labyrinthes exotiques y avaient été aménagés dans une absolue discrétion. Le mystère entourant les bois et la prolifération du gibier qui la parcourait permettent de comprendre l’engouement des puissants pour la région. Cependant, à l’été 322, un incendie dévastateur ravagea la forêt sous l’initiative d’un meurtrier connu sous le nom de « Rage ». Après que le criminel ait été capturé et exécuté publiquement dans la cité d’Yr, ses collaborateurs déclenchèrent un brasier infernal qui consuma une grande partie de cette merveille naturelle. Aujourd’hui, seuls les troncs calcinés des arbres morts témoignent du passé révolu de l’île verdoyante.
Le peuple
Voisin continental de Salvamer, Avhor partage avec la région maritime une culture de raffinement et de beauté. Cependant, alors que Salvamer a développé une bourgeoisie forte basée sur les richesses de la mer, les Avhorois se sont faits connaître pour leur tempérament festif et, trop souvent, peu consciencieux. Dans la capitale de Vêpre, toutes les raisons sont bonnes pour célébrer et faire couler l’alcool : commémoration de la venue du Roi-Prophète, semailles, récoltes, naissance d’un nouveau membre de la famille régnante, etc. Par conséquent, avec le temps, les vins et les arts avhorois se sont frayé un chemin dans les cours du royaume d’Ébène.
Cette prédominance des arts et de la fête a permis la création de guildes d’artistes qui sont devenues les lieux de naissance de la plupart des ménestrels et poètes du royaume. Ces regroupements, au nombre de trois, promeuvent chacun à leur façon les arts en vogue. Ainsi se côtoient les Ardii (tournés vers les arts abstraits et métaphoriques), les Veratii (tournés vers les arts imitatifs) et les Ascensii (tournés vers l’art religieux). Sans être en conflit les unes avec les autres, chaque guilde veille à former selon ses propres prérogatives les futurs poètes, musiciens et écrivains qui la fréquentent. Une fois les bases de leur art acquises, les étudiants partent en pérégrinations sur les routes du royaume afin de parfaire leur connaissance du monde et de trouver l’inspiration pour le chef-d’oeuvre qui fera leur renommée. De plus, ces trois guildes sont responsables d’organiser les multiples festivals de Vêpre, ce qui donne lieu à une compétition pour les événements les plus mémorables.
Sur le plan vestimentaire, les Avhorois ont des goûts se rapprochant de ceux des habitants de Salvamer où le confort se marie élégamment aux couleurs nobles. Cependant, lors des festivals, la tenue d’occasion est la toge ample ou stola -écarlate, blanc et pourpre de préférence-, celle-ci facilitant les mouvements pendant les danses et maximisant le confort lors des banquets.
La famille
La famille Filii, dont le jeune Georgio Filii est l’actuel seigneur-palatin, fut, comme plusieurs autres lignées de seigneurs-palatins, élevée lors des troubles de la Longue Année. Ses prédécesseurs, les Vhorili, auraient, selon les légendes, construit de leurs propres mains la Place aux Fêtes de Vêpre et transmis à leurs vassaux cette joie naturelle qu’on leur connaît aujourd’hui. Par contre, quand le Mal de la Forêt d’Ébène s’immisça dans l’Étoile du Soir, il s’en prit directement aux bons Vhorili. En l’espace d’une nuit, le duc de l’époque, Galandrio Vhorili, sombra dans une folie meurtrière et fit massacrer sa propre mesnie. Par la suite, il ordonna la destruction des ponts reliant le coeur de la cité aux terres environnantes afin d’empêcher sa population de fuir et de le « trahir ». En quelques heures, les résidents de Vêpre étaient devenus prisonniers dans leurs propres demeures.
Dans les campagnes, la noblesse terrienne décida de se porter à la défense des opprimés de la cité. Sous le commandement d’Isabella Filii, comtesse du fortin de Vespera au sud de la capitale, les vassaux libres des Vhorili rassemblèrent leurs bannières sur les berges du lac Dive. Toutefois, la démolition des passerelles menant au manoir urbain du duc empêchait les troupes de poser pied sur l’île pour en déloger le seigneur assassin. C’est par la ruse qu’Isabella dût en arriver à ses fins. Munie d’un drapeau blanc, elle hurla au duc que son île était en proie au Sang’Noir et que sa populace incendierait sous peu sa résidence pour s’approprier ses biens. Galandrio lança alors un coup d’oeil aux gardes qui l’escortaient et, dans un élan de paranoïa indescriptible, se jeta subitement dans le lac noir. Il suffit de quelques brasses pour que l’eau imbibe et alourdisse le pourpoint et la cape du seigneur, le tirant vers sa mort. Les récits affirment que, pour une première fois dans l’histoire de Vêpre, un silence total fut maintenu dans les rues ce soir-là. Au lendemain de la tragédie, Isabella Filii prit la tête de la lutte contre le Sang’Noir.
Âgé de 16 ans seulement, Georgio Filii a pris la tête du palatinat d’Avhor prématurément. Son père Alphonzo Merioro ayant perdu la vie lors du siège de Vêpre en 316 et sa mère ayant été destituée en 318, il dût monter sur le trône avhorois alors qu’il n’avait que 12 ans. Dès son accession au pouvoir, ce fut Hugues Orfroy qui occupa le rôle de régent dans l’attente de la majorité du jeune homme. Cependant, le passé troublé de Georgio fit naître en lui une soif de violence et de guerre reconnue dans tout l’est du royaume. Après la disparition de Hugues Orfroy en 322, ce fut le comte Philippe d’Ambroise IV qui devint son conseiller, tentant d’apaiser ses pulsions belliqueuses diplomatiquement. Les actuels successeurs au titre de palatin d’Avhor sont Valentina et Cassio Filii, sœur et frère de Georgio, âgés respectivement de 14 et 13 ans.
La guerre des deux Couronnes
Dès le début de la guerre des deux Couronnes, il apparut évident aux yeux des observateurs que la question des Désirants et de leurs revendications populaires n’allait trouver qu’un très faible écho en Avhor. Avant même la déclaration de sécession de la princesse Isabelle, toute l’attention des Avhorois était tournée vers la révolte du comte de Norforte, Hugues Orfroy. Ce dernier clamant l’incapacité à gouverner de la palatine Lucrecia Filii, il s’associa le comte de Trenquiavelli Adryan Trenquiavelli, la comtesse de Caliamo Béatrice Delorme et le meneur du Cercle des Pèlerins (une influente confrérie religieuse relevant du Haut Pilier) Charles Lobillard. Avec l’aide de ces supporteurs et d’autres puissants alliés –dont le général Alwin Recktenwald, le financier Filipe Delorme et la noble Aurora Filii-, il lança un assaut surprise sur Vêpre. Toutefois, ce qui de
vait être une invasion éclair dégénéra peu à peu en une guerre d’attrition.
Effectivement, peu à peu, des sympathisants de Lucrecia Filii se présentèrent à Vêpre. Tout d’abord le comte de Vespéra Fidel Guglielmazzi, ils vinrent ensuite de Felbourg –avec la famille Ozberth et le comte des Banches Ulrich Aerann- et de Pyrae –avec Ellyn de Mirabelle-. La guerre prit cependant un tout autre tournant lorsque le prince Élémas IV lui-même s’immisça dans le conflit en prenant le parti de dame Filii. Cette alliance forte fut officialisée en juin 316 lorsque le comte Guglielmazzi accepta de rejoindre les rangs du Bataillon sacré afin de poursuivre la lutte au nom de la Couronne d’Yr. Cette union ferme s’avéra précieuse pour le camp de dame Filii, fortement ébranlé suite à la mort tragique quelques mois plus tôt d’Alphonzo Merioro, général de Vêpre et époux de la palatine. C’est donc de Vespéra que Lucrecia soutint la résistance de la capitale.
Le siège de Vêpre fut l’un des plus longs de l’histoire de l’ère royale. Pendant plus de deux ans, la cité des fêtes fut paralysée par les affrontements. Maitrisant le débarcadère de Vespéra, la résistance Filii pouvait ravitailler librement le château de Vêpre et les quartiers est. Toutefois, détenant les points d’accès du lac Dive par le fief de Rive-Bois, les révolutionnaires Orfroy avaient toute la latitude nécessaire pour maintenir leur mainmise sur les quartiers ouest de la ville. Plus encore, grâce à la participation massive du peuple avhorois interpellé par les activités de propagande du Cercle du Pèlerins, des renforts constants en miliciens nourrissaient les armées Orfroy. Cela dit, après quelques assauts infructueux et meurtriers de part et d’autre en 316, le siège dégénéra en une guérilla urbaine. Graduellement, Vêpre se vida de ses habitants, devenant pour ainsi dire une cité fantôme avant la fin de l’an 317. La famine s’installa autant chez les assiégeants que les assiégés et il devînt évident que le conflit ne s’achèverait pas sans intervention extérieure.
À l’été 318, las de la stagnation du front avhorois, le prince Élémas IV convoqua dans la cité d’Yr les principaux partis impliqués. Se présentèrent Hugues Orfroy, Adryan Trenquiavelli, Béatrice Delorme, Charles Lobillard et Alwin Recktenwald. Face à eux, la palatine Lucrecia Filii, la baronne et conseillère Ceridwen Abiani, Vladimir Guglielmazzi et Fidel Guglielmazzi les attendaient. Les négociations durèrent trois jours. Au terme de celles-ci, un compromis fut suggéré par le prince Élémas IV. Lucrecia Filii devait céder son titre de seigneur-palatine d’Avhor à son fils aîné, Georgio, et s’engager à se retirer dans l’une de ses villas du comté de Vespéra. En échange, Hugues Orfroy était nommé comte protecteur du nouveau palatin de 12 ans et toutes les accusations de criminalité à l’endroit de dame Lucrecia étaient abandonnées. Finalement, les Orfroy devaient délaisser officiellement le camp de la princesse et s’engager à combattre les forces des Désirants dans l’est du royaume. Bien que contestée par plusieurs des dignitaires présents, l’offre fut acceptée par les principaux concernés –Lucrecia Filii et Hugues Orfroy-.
Cette décision suscita la colère de Charles Lobillard qui claqua la porte des négociations et alla rejoindre avec ses partisans du peuple les Désirants de Casteval. La comtesse Béatrice Delorme, quant à elle, décida de demeurer neutre afin de ne pas prendre les armes contre sa sœur la princesse. Lors des mois qui suivirent, croulant sous les pressions du nouveau comte protecteur Orfroy l’intimant d’entrer en guerre contre la princesse et son époux Charles Lobillard, elle abandonna son titre de comtesse et se retira avec ses enfants à Vêpre. Enfin, Fidel Guglielmazzi ne souhaitant pas plier le genou devant Hugues Orfroy, il se vit offrir par le fils du prince et seigneur-palatin de Laure, Ludovic Lacignon, le contrôle du comté de Rivelm en Laure, plus proche fief de la cité d’Yr. Quant à son frère, Vladimir, il prit résidence au palais d’Yr et oeuvra en tant qu’expert du renseignement afin de mater les ambitions de la princesse Isabelle.
Un an plus tard, Hugues Orfroy, décida enfin de respecter son entente avec le prince et de passer à l’offensive contre Casteval. À la tête des légions avhoroises affaiblies, il prit de revers les révolutionnaires stationnés dans le comté des Hautes-Plaines à Salvamer et les mit en déroute avec l’aide des Salvamerois. Les forces de la princesse furent scindées en deux : alors que certaines retournèrent à Casteval, d’autres –dont la princesse elle-même- se réfugièrent à Cassel. Quelques semaines plus tard, les Avhorois franchirent les frontières cassolmeroises et prirent en tenailles les résistants de Casteval, toujours aux prises avec les Felbourgeois et Laurois de Salomé Aerann et Ebert der Vaast. Une bonne fois pour toute, la ligne de fortins cassolmerois était franchie et les armées nobles entamaient le siège de Casteval. Si les légions d’Avhor ne devaient pas se rendre jusqu’à Cassel, elles allaient contribuer à la chute de Casteval et des Désirants.
En 322 de l’ère royale, Avhor se remet à peine de la guerre. L’étoile du soir qu’était Vêpre s’est temporairement éteinte et tarde à renaître de ses cendres. Dans l’incapacité de maintenir la sécurité dans la cité, Hugues Orfroy proposa en 321 à Adryan Trenquiavelli d’abandonner son titre de comte afin de participer à la restructuration du cœur d’Avhor. À la demande de Lucrecia Filii elle-même, Ceridwen Abiani mit de côté ses inimitiés avec les Orfroy et accepta de devenir la responsable de la « Renaissance des arts et des fêtes » en Vêpre. Enfin, après l’Unification du royaume, Philippe d’Ambroise IV et sa cohorte oeuvrèrent ardemment afin de redonner sa noblesse sur la scène nationale à leur province. La guerre civile avhoroise avait laissé le palatinat profondément scarifié, mais l’avenir était désormais plein d’espoir.