S’ils s’éloignaient de la sainte lumière par leurs sauvages ambitions, les guerriers du Vinderrhin chérissaient toujours un semblant d’honneur. C’est celui-ci qui fit en sorte que, lorsque je me présentai aux portes de la cité d’Yr en exigeant un duel à mort, on m’escorta jusqu’au chef de guerre ennemi. Dans les yeux de mes hôtes, je perçus à la fois respect et dérision ; à quoi pouvait bien aspirer un simple soldat comme moi? Que j’emporte ce duel, on me transpercerait néanmoins de mille flèches. Que j’échoue à ma tâche, je périrais au milieu des rangs des blasphémateurs. Mais à quel autre forfait aurais-je pu prétendre? Par-delà la mort, il me fallait regagner mon honneur par la démonstration de la puissance du Dieu.
Témoignage de la Puissance, Recueil des Témoins
Les moeurs
Depuis aussi loin que la mémoire de notre peuple peut s’en rappeler, les duels d’armes furent les méthodes privilégiées pour régler des différents entre individus influents. Plutôt que d’envoyer d’innombrables soldats à la boucherie, les anciens dirigeants du continent croisaient le fer sur la place publique afin de prouver la supériorité de leurs idéaux. On raconte que, lorsque les frontières des duchés commencèrent à se stabiliser et que les seigneurs de guerre s’approprièrent les titres de ducs et de comtes, la peur des champs de bataille et de leurs aléas mortels persuada les souverains de mieux encadrer la pratique des duels et des combats d’honneur. Ainsi apparurent les tournois et les joutes, festivités taillées sur mesure pour les aristocrates réticents à affronter les dangers des guerres.
Après le Sang’Noir et l’avènement du Roi-Prophète, les duels furent relayés aux sphères privées des cours en raison du mépris généralisé pour la violence des populations éprouvées par la terrible malédiction. Toutefois, les décennies passèrent et, graduellement, les tournois refirent leur apparition dans les 9 palatinats. Principalement au Sarrenhor où les chefs de clans aspiraient constamment à faire valoir leur force et leur endurance, ces événements mémorables devinrent les occasions parfaites de se pavaner devant un public avide de récits épiques et d’armures rutilantes. Lorsque les enjeux des concours martiaux gagnèrent en importance, ces derniers furent placés sous la protection sacrée du pacte du vin de sorte que seuls les combattants consentants puissent tirer les armes et faire couler le sang.
En 314 de l’ère royale, les duels (et à plus forte raison les tournois) sont des occasions privilégiées d’assister à la résolution d’un conflit entre deux membres influents du royaume. Pour la plupart des Ébénois, être le spectateur d’un duel revient à prendre part à un pan de l’Histoire commune. C’est pour cette raison que ces événements sont habituellement annoncés plusieurs semaines -ou mois dans le cas de tournois- avant leur tenue afin de rassembler le plus grand nombre de témoins. Cet engouement pour la résolution armée des conflits personnels fait en sorte que les quelques nobles refusant les duels qui leur sont légitimement lancés sont les objets des railleries populaires.
Les coutumes
Comme nous pouvons nous en douter, les duels et tournois sont aujourd’hui soumis à de rigoureux règlements visant à limiter la corruption ou les fourberies. Nous tenterons de résumer le plus clairement possible dans les lignes qui suivent les innombrables détails et traditions liés à ces événements.
Lorsqu’un individu estime qu’il est lésé par un autre Ébénois en âge de combattre, il détient le droit sacré de provoquer son ennemi en duel. La demande doit alors être clairement formulée et comporter trois renseignements essentiels :
I- Le lieu où se tiendra le duel.
II- Le moment où se tiendra le duel.
III- Si le duel sera à mort ou non.
Face à cette provocation, l’adversaire pourra refuser l’invitation -ce qui risque de jeter sur son nom un voile de honte- ou encore modifier l’un des trois éléments ci-dessus à son gré. Il retournera alors sa décision ou sa contre-offre à l’individu lésé qui sera tenu de la respecter. Il sera alors de la responsabilité du provocateur de débusquer un Gardien du Pacte du vin qui veillera au bon déroulement du combat et de répandre la nouvelle par l’entremise de crieurs publics. Bien sûr, le provoqué pourra aussi, s’il n’entretient aucune confiance envers son ennemi, engager son propre Gardien du Pacte du vin et ses propres crieurs publics.
Si le duel est déclaré à mort, le gagnant devra veiller, après sa victoire, à honorer avec humilité et dignité la mémoire de son adversaire. Le perdant ayant payé l’ultime prix pour un conflit d’honneur, il serait extrêmement mal perçu par les sujets du royaume que le survivant insulte le souvenir de celui ne pouvant plus protéger son nom. La tradition veut que, habituellement, le vainqueur offre à la famille du combattant décédé une épée finement travaillée, un buste sculpté ou encore un bijou précieux.
D’un autre côté, si le duel ne requiert pas la mort de l’un des participants, il est d’usage que les duellistes s’entendent sur le prix du victorieux et sur le Trésor de Honte du perdant. Effectivement, il ne suffit pas que le vainqueur ressorte de son combat avec son honneur retrouvé ou l’objet de sa quête ; le candidat défait doit aussi quitter avec un symbole estimé du peuple d’Ébène qui sera pour lui synonyme de honte. Le meilleur exemple de cette règle tacite est celui relaté dans la chanson de geste “La Vierge et l’Écu” où le soupirant d’une jeune noble, ayant perdu son duel, doit abandonner la cour de sa douce et se voir remise une relique ancienne -l’écu de Galvin le Fier- en guise de Trésor de Honte. Dès cet instant, il devient le porteur du bouclier sacré de Galvin, mais il ne peut en tirer que tristesse et désespoir.
Il est communément admis que les combattants puissent manier les armes et équipements avec lesquels ils sont les plus habiles lors des duels. Lance, épée longue et écu, épées courtes, dagues, cela importe peu : le Céleste guidera l’arme du Juste quelle qu’elle soit. C’est donc devant le Céleste et le peuple d’Ébène que se confronteront les fiers duellistes aux honneurs courroucés.
En terminant, sur la question des tournois, notons que leurs règlements varient fortement en fonction des palatinats où ils se déroulent. Les questions des paris, des dames d’honneur, des prix à remporter, des motivations au combat et autres sont normalement déterminées par les organisateurs du tournoi. Néanmoins, tous les tournois sont inévitablement placés sous la protection du Pacte du vin afin que nulle violence barbare et indésirable n’y soit perpétrée.