Le décès du Roi fut pour le royaume d’Ébène un choc terrible. Bien que les signes d’un âge avancé trahissaient le suzerain lors de ses dernières années, notre bon peuple entretenait l’espoir -probablement puéril- de voir son sauveur doté d’une divine immortalité. Néanmoins, le décevant trépas du Roi ne préoccupa que brièvement la populace, un constat beaucoup plus dramatique s’imposant à elle ; le monarque n’avait laissé derrière lui aucun héritier au trône d’Ébène. Effectivement, jamais le Prophète ne prit reine et, malgré ses innombrables concubines et courtisanes, ses relations intimes n’engendrèrent aucun enfant. Les règles habituelles de primogéniture en vogue au sein de la noblesse ébénoise ne s’appliquaient donc pas au trône royal…du moins à ce moment.
Au printemps de la vingt-sixième année de l’ère royale, après un hiver sans roi, les sept seigneurs-paladins du royaume se réunirent à la cité d’Yr. Sous la supervision des trois plus proches disciples du Prophète -Gaspar, Aurèle et Adrianna- ils débattirent pendant cinquante jours du délicat sujet de la succession royale. Les arbres bourgeonnant de la douce saison au commencement des discussions portaient un épais feuillage verdoyant lorsqu’une décision émana de ce concile secret. Il fut conclu que le Roi-Prophète, par ses prouesses lors de la Longue Année, entretenait définitivement une filiation avec le Céleste -s’il était lui-même divin ou non ne fut guère décrété- et que, par conséquent, en l’absence d’un héritier direct du suzerain, il revenait au Céleste de nous bénir de nouveau d’un fils ou d’une fille pour occuper le trône. La légitimité du prétendant serait déterminée grâce à l’épreuve du Sang et des Ombres : le supposé enfant céleste devrait avoir un sang ambré, comme celui du premier roi, et pouvoir traverser seul la menaçante forêt d’Ébène et en revenir, chose qu’aucun humain n’avait réussie auparavant. À ce jour, aucun candidat n’a su surmonter ces deux épreuves.
Dans l’attente d’un second monarque, les seigneurs instaurèrent un système d’élection princière. Le royaume d’Ébène serait dirigé par un prince élu à vie lors de Conclaves auxquels ne participeraient que les seigneurs-paladins, prenant désormais le titre de seigneurs-palatins. De soldats du Dieu, les sept chefs des plus influentes familles passaient à électeurs du gardien du trône. Le premier prince fut ainsi Villande Lacignon de Gué-du-Roi, qui prit lors de son avènement le nom d’Élémas (dit le Premier). Lors des siècles qui suivirent, le processus de nomination du souverain princier par les seigneurs-palatins entraîna la création d’un univers d’intrigues, d’alliances secrètes et de confrontations publiques. Même si certains sages s’y opposèrent, soutenant qu’il s’agissait là d’une menace latente à la stabilité du royaume, ils durent se rallier au fait que les lignées nobles des palatinats avaient déjà reçu l’approbation du Céleste par l’entremise du Roi et que, tant que le Dieu garderait le silence, elles étaient les plus dignes représentantes de son autorité.
Après ce moment fatidique, l’histoire de l’ère royale est parsemée de conflits, de tractations et de rebondissements effarants dont nous traiterons dans les chapitres ultérieurs de cette encyclopédie. Toutefois, deux événements s’avèrent dignes de mention dans le cadre de ce récit général de notre royaume. Tout d’abord, notons la fondation de la cité de Haut-Dôme et du palatinat de Val-de-Ciel. Au lendemain de la crémation du Roi dans les montagnes du Sud, une multitude de zélés célésiens entamèrent des pèlerinages vers la Main céleste, étape finale du cortège funèbre du défunt suzerain. En quelques mois, des volontaires en provenance de tout le royaume mirent sur pied une route de pèlerinage visant à faciliter la quête des fidèles et, grâce aux efforts soutenus de Thorstein Arhima, un prêtre célésien de Felbourg, un temple ouvrit ses portes au sommet des Namori. La ferveur des voyageurs (et leurs bourses bien remplies) attira des marchands, mercenaires et artisans qui donnèrent vie à une communauté articulée autour du lieu saint. À l’été de l’an 75 de notre ère, la nouvelle ville, baptisée Haut-Dôme, avait acquis suffisamment d’importance pour s’imposer au Conclave où, à l’issue d’un vote serré, la famille Arhima y obtenait le titre de seigneur-palatin. Un huitième joueur, entièrement voué aux affaires religieuses, rejoignait le concert des électeurs princiers.
La présence d’un nombre pair d’électeurs au Conclave fut à l’origine du second événement dont nous souhaitions traiter en ces lignes : l’intégration de Pyrae au royaume d’Ébène. À la 105e année de notre temps, le prince Orcidias II décéda tragiquement d’un étouffement lors d’un banquet tenu à Salvar. Jamais on ne put déterminer si le triste sort du dirigeant était dû à un empoisonnement volontaire ou à une mortelle intolérance à un aliment consommé. L’absence de preuve soutenant l’une ou l’autre de ces hypothèses n’empêcha toutefois pas les seigneurs d’y adhérer avec véhémence. Avant l’automne, le royaume était divisé en deux camps : au Sud, on accusait les Lobillard de Felbourg de pratiquer l’art subtil du poison, tandis qu’au Nord on en appelait à l’accident en se riant la rustre ignorance des Suderons. L’élection d’un successeur à Orcidias II devint alors impossible, chacun des votes tenus au Conclave aboutissant à une égalité des voix. Ce n’est qu’au début de l’hiver de la même année que la famille Amezaï des îles orientales de Pyrae entra en scène. Richissimes marchands, les Amezaï détenaient le monopole du commerce de l’acier dans le royaume. Dans un élan bienveillant ou machiavélique, ils firent donc une proposition aux décideurs ébénois : soit Pyrae intégrait le royaume en tant que neuvième palatinat, brisant ainsi la dangereuse parité au Conclave, soit la région insulaire finançait massivement et au hasard l’une des deux factions lors d’une probable guerre civile. Pris au dépourvu, les seigneurs optèrent pour la première proposition. Pyrae fut ainsi le neuvième et dernier palatinat à obtenir une reconnaissance en nos terres. Encore aujourd’hui, nombre d’érudits qualifient le geste des Amezaï de chantage. Pourtant, les nobles de Pyrae affirment que c’était là le seul moyen -extrême, certes- d’empêcher le royaume de basculer dans une guerre civile meurtrière.
En l’an 322 de l’ère royale, la princesse est Théodoria, ancienne seigneur-palatine de Corrèse. Le dauphin de la principauté, quant à lui, n’a pas encore été déterminé. Les morts successives d’Élémas IV et Élémas V en 321 et 322 causèrent de grands bouleversements tardant à se résorber.
Liste des princes et princesses du royaume d’Ébène
- 1 à 25 : Le Roi-Prophète
- 26 à 53 : Villande Lacignon de Laure, connu sous le nom d’Élémas dit le Premier
- 53 à 55 : Vigismond de Sarrenhor, connu sous le nom d’Orcidias dit l’Ancien
- 65 à 105 : Sigismond de Sarrenhor, connu sous le nom d’Orcidias II dit le Jeune
- 105 à 142 : Vesma Arhima du Val-de-Ciel, connue sous le nom de Théonia dite la Colombe
- 142 à 159 : Antonin Lacignon de Laure, connu sous le nom d’Élémas II dit le Faible
- 159 à 164 : Ristoff Paurroi de Corrèse, connu sous le nom de Casimir dit le Sévère
- 164 à 184 : Serena Filii d’Avhor, connue sous le nom d’Esther dite la Festive
- 184 à 186 : L’année des Deux Trônes. Verasmond de Sarrenhor (connue sous le nom d’Arianne dite la Sage) siège sur le trône d’or tandis que Florenzo Acciaro (connu sous le nom de Ferrinas dit le Tolérant) siège sur le trône d’ébène.
- 186 à 194 : Drissia Amezaï de Pyrae, connue sous le nom de Messinia dite la Conciliatrice
- 194 à 231 : Jehan Lobillard de Felbourg, connu sous le nom de Célestas dit le Riche
- 231 à 253 : Aurèle Lacignon de Laure, connu sous le nom d’Élémas III dit le Patient
- 253 à 254 : L’année sans prince. Le successeur désigné du prince Élémas III étant décédé au même moment que le souverain, on débat à savoir qui héritera du trône.
- 254 à 275 : Finrenden Gwenfrynn de Cassolmer, connue sous le nom Viania dite l’Incertaine
- 275 à 301 : Aubertine Lobillard de Felbourg, connue sous le nom de Vastelle dite l’Érudite
- 301 à 311 : Sebastian Acciaro de Salvamer, connu sous le nom de Ferrinas II dit l’Explorateur
- 311 à 321 : Antoine Lacignon de Laure, connu sous le nom d’Élémas IV dit l’Unificateur
- 321 à 322 : Ludovic Lacignon de Laure, connu sous le nom d’Élémas V dit le Juste
- 322 à nos jours : Cathara Paurroi de Corrèse, connue sous le nom de Théodoria la Première
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