Des milliers de lueurs vacillantes jaillirent de l’esprit du Céleste et se déposèrent dans les brumes de Célès. Nulle lueur n’était identique à sa semblable et, pourtant, chacune aspirait à s’élever et à croître. Or, isolées, les flammes consument leur mèche puis s’éteignent. Regroupées, elles se déploient et enrayent les ténèbres. Telles étaient les pensées du Céleste : espérez et rêvez seuls, mais agissez et créez ensemble. L’avenir de ce monde appartient à ceux qui, malgré les différences, recherchent l’harmonie.
Témoignage de l’Omniscience, Recueil des Témoins
Les terres
Située sur les bords de la mer Blanche, la populeuse métropole de Felbourg fut fortement influencée par l’épisode du Sang’Noir du début de notre ère. Modestement peuplée à l’origine, la ville marchande de Fel était, comme la plupart des bourgs du royaume, le point de convergence de la riche vie rurale qui l’environnait. Or, lorsque le Sang’Noir atteint les campagnes de la communauté, la population se massa à l’intérieur des fortifications dans l’espoir d’y trouver un quelconque réconfort. Ce mouvement migratoire aurait pu s’avérer catastrophique s’il n’avait pas été accompagné par la suite de l’apparition du Roi-Prophète qui libéra le bourg des enragés. Suite à ces événements, bon nombre d’anciens paysans et de serfs décidèrent de s’établir définitivement à Fel -renommée Felbourg- pour y oeuvrer à titre d’artisans, de commerçants ou, dans les cas moins reluisants, de larrons. Avec le temps, la métropole a non seulement vu sa population augmenter sous l’afflux des immigrants en quête de prospérité, mais elle s’est lentement divisée en nombreux quartiers correspondant à autant de castes sociales. Démunis, criminels, nobles et bourgeois se côtoient donc dans ce dédale de ruelles et d’égouts qu’est Felbourg.
Peu fertiles, les sols au nord de la métropole ne sont que maigrement exploités. Les quelques fermiers et éleveurs qui prétendent vivre des produits de la terre ne parviennent que rarement à amasser suffisamment de ressources pour survivre à l’hiver et, le plus souvent, ils doivent offrir leurs services de journaliers dans la cité lors de la saison froide ou encore travailler dans les mines de sel de Selbourg. Bien sûr, des communautés de faible importance ponctuent les routes menant à la capitale, mais celles-ci ne perdurent que grâce à l’argent des voyageurs et passants. En somme, au nord de la capitale, rares sont les chanceux susceptibles de faire fortune ou de vivre confortablement. Au sud de l’Augivre toutefois, les cultures maraichères sont beaucoup plus fréquentes. Dans les comtés de Jéranbourg et des Salimes, par exemple, des plantations vinicoles font la réputation des propriétaires terriens. Cette économie axée sur la métropole tend toutefois à changer en ce moment. Sous les ordres du duc de Fel Aldrick Aerann, de nombreux incitatifs furent offerts aux Felbourgeois afin de retourner aux exploitations agraires et minières dans les campagnes. La famille de l’Ours a toujours méprisé la haute bourgeoisie et le travail de la terre est pour elle le fondement de tout bon système féodal.
C’est au nord, dans la région montagneuse des Crocs, que la pauvreté rurale est la plus choquante. Celle-ci a donné une bien mauvaise réputation à l’endroit et, de nos jours, seuls les convois lourdement armés osent s’y aventurer. Le dernier avant-poste de la garde felbourgeoise se situe dans le hameau de Kilberg, à quelques heures de marche au sud des Crocs. Au-delà de cette ultime frontière, des brigands et coupe-gorges refusant l’hégémonie du Céleste et du prince d’Yr font la loi. Toutefois, avec le développement effréné du beffroi de Valcourt, haut-lieu de l’Ordre de l’Illumination aux pieds des montagnes, de Selbourg, ville soigneusement protégée par la famille Aerann, et de la Forteresse du Fils, fabuleuse place-forte où réside le palatin de Felbourg, tendent à être maîtrisées.
Le peuple
L’économie de Felbourg se limite encore grandement aux activités industrielles ayant lieu dans ses faubourgs. Anciennement, les différents moulins à scie -à eau et à vent- permettaient à Felbourg d’entretenir presque constamment les chantiers navals de son propre port et des ports du royaume. Toutefois, en 270 de l’ère royale, un ouvrier des moulins à scie, Jehan Fulcieu, développa une nouvelle technique utilisant la force de la vapeur afin de mouvoir les turbines des moulins. Non seulement cette découverte permit-elle d’améliorer fabuleusement la production des ateliers, mais elle fit de Felbourg la capitale industrielle du royaume. Peu de temps après la trouvaille de Fulcieu, une académie -l’Académie Fulcieu- fut mise en place afin d’approfondir le potentiel de la vapeur. Même si elle est essentiellement intéressée par des recherches techniques et pratiques (au détriment des recherches philosophiques et fondamentales), cette académie fait la renommée de Felbourg.
Autrefois, les richesses de Felbourg n’étaient réservées qu’à un petit nombre de ses habitants. Certes, ces inégalités économiques perdurent, mais depuis le démantèlement de la Guilde franche d’Ébène au début de l’an 322, la famille Aerann s’appropria le colossal trésor de l’organisation. Grâce à celui-ci, Aldrick Aerann lança un vaste plan de retour à la terre et remit à des milliers de serfs et vilains des terres, fermes et animaux d’élevage afin de repeupler les régions moins développées du palatinat. Cela eut pour effet de vider les rues de la métropole et de diminuer la criminalité. De plus, avec l’exil ou la mort de nombreux bourgeois lors des dernières années, une nouvelle petite noblesse entièrement dépendante des largesses des Aerann émergea. Par l’argent et des lois audacieuses, Fel est en voie de changer de visage.
Sur le plan vestimentaire, la mode de Felbourg est un mélange confus des autres styles du royaume d’Ébène. Effectivement, il serait ardu de définir précisément une mode ou même un tempérament commun à tous les Felbourgeois. Le cosmopolitisme et le dynamisme de Felbourg attirent des sujets de l’ensemble du royaume d’Ébène et toutes les tendances peuvent y être aperçues. Dans les campagnes toutefois, le caractère sévère et bourru propre aux descendants du peuple de Vindh est extrêmement répandu, les fondateurs de l’ancienne foire marchande de Fel y tirant leurs origines.
La famille
Avant l’ère royale, le duché de Fel était aux mains de la famille Aerann, fière héritière du peuple de Vindh. Cependant, dès que le Sang’Noir se déclara dans les duchés du Sud et que des masses d’immigrants firent leur apparition devant Fel, les Aerann fuirent leur propre cité pour se réfugier dans les Crocs. Avant même que l’anarchie ne s’empare de la ville, l’un des conseillers personnels du duc Aerann, un bourgeois du nom d’Albert Lobillard, reprit les rênes du pouvoir. Évidemment, après l’épidémie, le courage de l’homme fut récompensé par le Roi-Prophète par le titre de duc de Felbourg et de seigneur-palatin. Ainsi, lorsque les Aerann réapparurent en l’an 2 afin de réclamer le rang qui leur revenait de droit, ils furent remerciés de leurs services passés par un fief dans le Nord. Depuis, une tension palpable persistait entre les Aerann et les Lobillard, les premiers demeurant les vassaux des seconds.
En 314 et 315, cette tension dégénéra subitement sous l’influence de la nouvelle génération de la famille Aerann. Sous l’impulsion belliqueuse du fou de guerre Adolf Aerann, petit-fils du comte des Banches Aldrick Aerann, la haine entre la famille Lobillard, ses fidèles vassaux –Delorme en tête- et les Aerann fut exacerbée. En 315, suite aux rixes incessantes entre ses enfants et petits-enfants et les dirigeants de Felbourg, Aldrick Aerann déclara ouvertement la guerre à Filbert Lobillard, palatin du moment. S’en suivit une guerre civile meurtrière qui menaça d’embraser le royaume d’Ébène en entier. À l’issue de celle-ci, les appuis Lobillard désertèrent les uns après les autres le palatinat suite aux décisions questionnables de Filbert, laissant la famille régnante affronter seule les rebelles gagnant en puissance. À la fin de l’année 315, les armées Aerann franchirent finalement les portes de la métropole. Contrôlée à ce moment par la famille de Grise, désormais à la tête du comté des Salimes, la cité avait été complètement délaissée par Filbert Lobillard et sa garde personnelle. Dès cet instant, il devînt clair que la bannière de l’Ours des Aerann flottait désormais sur le palatinat en entier. Au tout début de l’an 316, le prince Élémas IV lui-même confirma le statut de seigneur-palatin d’Aldrick Aerann, mettant officiellement fin au conflit. On ne revit jamais Filbert Lobillard qui, selon les rumeurs, prit la fuite vers une nation étrangère.
Le seigneur-palatin de Felbourg est, en 322 de l’ère royale, Aldrick Aerann. Marié à Brunaude Gisberth, le vénérable vétéran de guerre a trois filles –Polymède, Salomé et Astrid- et deux fils –Ulrich et Gustaf-. Ayant refusé de succéder à son père, Polymède a laissé en 315 sa position de futur seigneur de Felbourg à son frère, Ulrich. Si le pouvoir ultime du palatinat repose entre les mains d’Aldrick Aerann, ce dernier a accepté en 316 la création de la Table de Fel, conseil constitué d’une poignée de hauts nobles. Par cette mesure, les Aerann aspiraient à passer un message clair : le règne marchand des Lobillard était terminé, celui de l’aristocratie et du noble sang pouvait débuter. Au printemps 322, les Aerann allèrent même plus loin encore. Profitant de l’invasion du Vinderrhin dans le nord d’Ébène, ils déclarèrent l’indépendance de leurs terres et la création du duché de Fel. Ce décret ne se fit pas sans heurt dans les cours du royaume, mais nul ne semblait avoir la force de contester la puissance des redoutables armées felbourgeoises sur leur territoire.
La guerre des deux Couronnes
De par sa position géographique à l’extrême ouest du royaume, Felbourg fut épargnée par la guerre civile. Dès le printemps 316, la noblesse felbourgeoise, à peine sortie de sa propre guerre civile, prit les moyens nécessaires pour écraser les germes de révolte sur son sol. Dans le comté des Salimes, le comte Gaspard de Grise, accompagné des inspecteurs Aerann et des guerriers Cerbère du comté en Vaunes, dispersa sous l’ordre d’Aldrick Aerann la poche de résistance des Désirants dans la région des Branches. Par la suite, la famille Aerann et leurs vassaux rejoignirent officiellement le camp princier contre ce qu’ils considéraient être les élucubrations de la princesse Isabelle. Au cours de la guerre des deux Couronnes, les comtes et comtesses de Felbourg se mobilisèrent dans les batailles des palatinats étrangers, qu’il s’agisse d’Astrid Aerann à Corrèse, d’Ulrich Aerann à Avhor, de Gaspard de Grise à Laure ou de Salomé Aerann à Cassolmer.
Pendant que les armées felbourgeoises se déployaient à l’extérieur de leurs frontières, le visage du palatinat occidental changea fabuleusement. Le premier de ces changements fut la fondation de la Table de Fel, un haut conseil composé des barons jugés dignes, des comtes et des aristocrates de Felbourg. À la tête de celui-ci furent nommés Astrid Aerann, en tant que Sénéchal en charge des affaires étrangères, Théo Cerbère, en tant que Maréchal responsable de la sécurité intérieure, et Aldrick Aerann, au titre de Grand maître. Célébration ultime de la noblesse éclairée, la Table de Fel devait unifier le palatinat. L’un des principaux partisans de la mesure fut le comte Gaspard de Grise des Salimes. Multipliant ses appuis auprès de la petite noblesse de Jeranbourg et de son propre comté, il milita assidument afin que ce projet voit le jour. Au lendemain de son adoption, il se présenta à la première réunion accompagné d’une quinzaine de nobliaux, symbole de sa propre influence au sein du palatinat. Depuis ce moment, le comte des Salimes se fait la première voix dissidente –le Débatteur comme on l’appelle- lors des réunions de la Table de Fel.
Pendant l’implantation de ce profond changement, la construction d’une merveille architecturale battait son plein dans le comté des Banches, au nord. Grâce aux plans de Gaston Savagnier, architecte laurois, la Forteresse du Fils, érigée à même les montagnes des Crocs à l’aide de marbre noir, mobilisa pendant près de quatre ans des centaines d’ouvriers. Aldrick Aerann ne souhaitait pas uniquement affubler son fief d’un fortin susceptible de protéger ses possessions ; il aspirait à faire honneur aux générations d’Aerann qui l’avaient précédé et qui avaient subi la domination humiliante des Lobillard. C’est en 320 que le chantier de la Forteresse du Fils s’acheva. Lors de son inauguration, le palatin annonça publiquement qu’il établissait le siège de son pouvoir en ce lieu, laissant à la Guilde franche d’Ébène le contrôle de Felbourg la cité. Permission conditionnelle à l’entretien minutieux du célestaire de Felbourg édifié plus tôt par Gilbert Fallières, Primat de l’Ordre de l’Illumination.
En 321, Felbourg s’est enfin remise de la guerre civile qui la déchira six ans auparavant. Les cinq années que durèrent le soulèvement de la princesse offrirent paradoxalement un répit aux civils et marchands du palatinat qui en profitèrent pour reprendre leur vie quotidienne. Astrid Aerann et Théo Cerbère, constatant l’imposante charge représentant leur position sur la Table de Fel, délaissèrent volontairement leurs comtés pour s’adonner à ces tâches. Ulrich Aerann, quant à lui, prit l’habitude de siéger aux côtés de son père dans la Forteresse du Fils. On raconte que le successeur au palatin de Felbourg aurait graduellement sombré dans une colère sourde au cours des dernières années. Abandonné par son cousin Eckhart II Aerann et son ancienne épouse Isik Nazem, il aurait perdu toute forme de compassion et s’adonnerait aux pires formes de torture sur ses prisonniers. Il aurait même renier ses propres enfants, présentement recherchés par plusieurs chasseurs de tête.