La bâtardise

 

À l’intérieur des liens de l’union sacrée, l’enfantement est la promesse d’un avenir radieux. Tous doivent assister à ce miracle et éclipser la souffrance de la mère par leurs éloges et leurs étrennes. Hors de ces liens toutefois, la mise au monde est un germe de trahison et d’abandon.
Témoignage de l’Omniscience, Recueil des Témoins

Grandeur Nature l'Enclave

Les moeurs

Au sein du royaume d’Ébène, la bâtardise est définie comme l’état de l’enfant issu d’une relation entre plusieurs individus non mariés. Qu’il s’agisse d’une union monogame comme il est coutume de voir dans les palatinats continentaux ou d’une relation polygame comme certains Pyristes se plaisent à pratiquer, tout enfant né d’un accouplement des corps pratiqué hors d’un mariage célébré sous l’œil du Céleste est considéré comme un bâtard. Dans certains pays exotiques comme chez celui des nomades du Silud, ces engeances seront perçues comme des êtres corrompus, malfaisants et sournois. Certains voyageurs vont même jusqu’à affirmer avoir aperçu des bâtards errer seuls dans les déserts arides, bannis par leur propre peuple en raison de leur statut.

Cependant, le royaume d’Ébène et les Célésiens ne méprisent pas ainsi leurs bâtards. Tel que l’a énoncé le Prophète dans « L’Enfantement », leçon enseignée par sa disciple la Sereine Adrianna dans le Témoignage de l’Omniscience, ce n’est guère à l’enfant de payer le prix de l’hérésie de ses parents. Le nourrisson devra être estimé comme n’importe quel autre Ébénois. Effectivement, si le Céleste a jugé nécessaire d’offrir une âme de lumière à l’enfant à naître, ce n’est guère à nous, pauvres mortels, d’évaluer si sa décision est juste ou non. Nous nous devons d’offrir au bâtard les mêmes chances de remplir son rôle au même titre que nous l’aurions offert à son homologue de pure naissance. Le bâtard de fermier servira aux champs comme le fera son voisin né dans les liens du mariage.

Ce seront les parents qui devront être châtiés pour leurs erreurs. Effectivement, combien de bâtards furent abandonnés après que l’œuvre de chair ait contrecarré les désirs de la Raison? Combien des orphelins sillonnant les rues de Felbourg sont les fruits d’une folle passion de jeunesse? Afin de prévenir ces horribles situations, nous nous devons d’associer l’enfantement aux chaînes sacrées du mariage. Dans le cas contraire, le Prophète suggère la torture en guise de punition aux parents. Ainsi apprend-on dans le Témoignage de l’Omniscience :

« Un matin d’hiver où il veillait à l’édification du beffroi du célestaire d’Yr, le Roi-Prophète découvrit une femme de Salvar en souffrance dans l’un des ateliers de menuiserie de la cité. Exilée de sa ville d’origine, elle était venue chercher réconfort dans la sainte capitale quelques mois plus tôt. Or, elle y rencontra un soldat fougueux qui accomplit avec elle l’œuvre de chair à l’extérieur de tout lien du mariage. Le résultat naturel fut qu’en cette froide matinée d’hiver, elle gisait devant son Roi, en proie aux pires supplices de l’enfantement.

Immédiatement, le Prophète fit quérir le soldat ayant partagé la couche de la future mère. Dès qu’il aperçut la conséquence de sa passion passée, il balbutia quelques excuses. Le monarque grimaça à la vue de ce pitoyable portrait puis, d’un ton ne souffrant aucune réplique, décréta : « La souffrance s’est déjà emparée de cette femme et lui cause mille tourments. Au centuple elle a payé son affront au Céleste. Toi, qu’as-tu à lui offrir hormis de vaines paroles? Un océan d’incertitude enveloppe cet enfant à naître, comment obtiendras-tu rédemption? » Le père, désemparé par rapport à cette déclaration du Prophète, bredouilla quelques mots et se tut. Tout en pointant l’ignorant, le Roi commanda : « Que ma garde s’empare de ce fou et lui fasse subir la même agonie que subira sa compagne. Tant qu’elle hurlera, il hurlera. Tant qu’elle saignera, il saignera. Quand le Céleste jugera leur dette acquittée, l’enfant naîtra et leur torture achèvera. » Le nourrisson naquit huit heures après cette déclaration, et avec sa venue s’arrêtèrent les cris de ses parents. Tel doit être le sort des blasphémateurs qui trouvent l’harmonie des corps hors de l’union sacrée. »

N’importe quel insensé pourra donc comprendre la gravité d’une union charnelle engendrant un nouveau-né hors du mariage.

 Grandeur Nature l'Enclave

Les coutumes

La plupart des bâtards reçoivent à leur naissance un nom particulier distinct de celui de leurs parents. Effectivement, aucun mariage n’ayant eu lieu, il est impossible de déterminer si le nourrisson portera le nom du père (patronyme) ou le nom de la mère (matronyme). De plus, nombre de parents éviteront de s’annoncer comme les géniteurs de l’enfant, souhaitant bien sûr éviter les sanctions inévitablement rattachées à leurs actions. La tradition veut donc que les bâtards soient nommés en fonction de phénomènes référant à la saison dans laquelle ils sont nés. Par exemple, nous pourrons rencontrer…

– Au printemps : Desfontes, Descrues

– À l’été : Deschamps, Delabrise

– À l’automne : Dubrouillard, Desvents

– À l’hiver : Desneiges, Dufroid

Certains de ces bâtards, lorsqu’ils auront eux-mêmes des enfants, les affubleront d’un nouveau nom afin qu’aucune ambiguïté ne subsiste par rapport à l’origine de leur progéniture.

En terminant, notons que les sanctions infligées aux parents ayant commis le sacrilège engendrant les bâtards ont grandement évolué depuis trois cents ans. De la torture pure et simple du père et de la mère, nous en sommes arrivés aujourd’hui à des accusations d’hérésie et de blasphème envers le Céleste. Dès lors, quand un couple non marié est reconnu coupable de fornication, il est immédiatement excommunié par les congrégations célésiennes. Les excommuniés ne peuvent plus fréquenter de lieux sanctifiés voués au Céleste ou obtenir de protection des fidèles de la vraie foi. Plus encore, si le blasphème est dissimulé depuis plusieurs années, à l’excommunication pourrait être jointe une accusation de crime envers le Céleste qui justifierait alors la mise à mort des concernés. Le seul moyen d’échapper à ces punitions sacrées est d’accomplir un pèlerinage vers le Val-de-Ciel et le plateau de la Main céleste, lieu où fut levé l’ultime bûcher du Roi-Prophète.