– Quel est cet être? s’exclama le cygne. Comment ose-t-il porter ombrage à mon charme? – Mon ami, répondit l’albatros, cet être est homme de Salvar la magnifique. Ses doigts tissent l’or et l’argent, ses yeux reflètent le nacre des perles et son coeur s’amarre aux flots du temps. Ne sois point jaloux, cygne, car cet être est dieu parmi les mortels.
“Le chant du cygne”, conte de Salvamer
Les terres
Nichée au-dessus des eaux turquoise de la lagune d’Émeraude, la cité de Salvar ne fait qu’une avec la Vaste-Mer. Supposément pris aux mains des légendaires Néréides, le havre de paix qu’est la lagune d’Émeraude permet depuis des siècles aux Salvarois de laisser libre cours à leur tempérament marin. Par des prouesses architecturales étonnantes, les fondateurs de Salvar sont parvenus à élever une ville de pierres sur les eaux de l’enclave marine. C’est à l’aide de ponts et de tunnels, respectivement façonnés au-dessus et au-dessous des canaux de la cité, que les différents bâtiments furent reliés entre eux, permettant l’émergence de la plus prestigieuse ville de tout le royaume. Malheureusement, les secrets de cet art de l’architecture lacustre furent perdus au cours des siècles et, de nos jours, nombre de passages sous-marins sont abandonnés et inondés. Afin de profiter de la vie citadine, les moins nantis -contrairement aux citoyens en moyens qui monopolisent et rénovent à grands frais la « vieille Salvar »- ont développé un réseau de pontons, de quais et de pilotis en bois destinés à accueillir leurs activités. À défaut de comprendre et de reproduire les techniques inégalées des anciens, les habitants de la région en imitent donc maladroitement les succès. Un véritable faubourg flottant entoure ainsi l’éternelle Salvar.
L’essentiel de l’activité économique et politique de Salvamer se tient dans sa capitale et, surtout, dans ses ports donnant sur la mer orientale. Une forte tradition maritime oriente les décisions de la famille régnante et il n’est pas rare que les terres à l’ouest et au sud de Salvar soient attribuées avec désinvolture aux premiers venus (tant que leurs allégeances sont assurées, bien sûr). Ajoutant à la mauvaise réputation des propriétaires terriens du palatinat, une large frange du territoire séparant Salvamer et Cassolmer est couverte de marécages inhospitaliers. Obtenir une terre dans les Saulnières -tel est le nom de cette zone- est donc rarement synonyme d’élévation sociale. Seule la marche occidentale de la province, réputée pour son potentiel agricole comparable à celui d’Avhor, intéresse moindrement les autorités de Salvar. Pour l’ensemble de ces considérations, Salvamer a fait le choix stratégique et philosophique de déployer son véritable potentiel sur la Vaste-Mer.
Le peuple
Le peuple de Salvamer, habitué au luxe des trésors architecturaux et marins, entretient une certaine condescendance envers le reste du royaume d’Ébène. La richesse et la liberté offertes par les étendues infinies de la Vaste-Mer ont effectivement insufflé aux Salvarois une soif démesurée du raffinement et des produits rares. Il est donc fréquent de voir éclater des conflits isolés entre ces individus et leurs voisins du Sud, les Cassolmerois, tristement réputés pour leur accablante pauvreté. La révolte des Désirants en 316 dans les Saulnières au sud du palatinat et le support apporté par les Cassolmerois à ce soulèvement populaire a aussi fortement contribué à refroidir les relations entre les deux palatinats. Toutefois, malgré leur vanité indéniable, les sujets de Salvar savent reconnaître les mérites du travail dûment exécuté et, par le fait même, font preuve d’une discipline que jalousent leurs cousins d’Avhor.
La plupart des Salvarois trouvent leur pitance dans des commerces peu lucratifs : extraction du sel dans les Saulnières, cultures maraîchères à l’Ouest, réfection des vestiges de la vieille Salvar, etc. Cependant, chaque matin, les pêcheurs les plus prospères et ambitieux de la lagune lèvent leurs voiles afin d’aller collecter au large des côtes les précieux trésors marins du pays. S’ils ne rechignent pas à la prise de quelques poissons ou crustacés, leur bonheur ultime réside dans la découverte de perles, blanches ou noires, et de coquillages colorés. La présence de ces produits luxueux près de Salvar explique en grande partie la prospérité du palatinat comparativement à d’autres régions au style de vie similaire.
Sur le plan vestimentaire, les chemises et chausses bouffantes aux couleurs marines, les pourpoints et les apparats de perles et de coquillages (pour les nobles et bourgeois) sont de mise. Démontrer sa richesse par son habillement n’est pas un vice, tant que la chose est faite avec bon goût.
La famille
L’actuel seigneur-palatin de Salvamer et duc de Salvar est Lorenzo Acciaro. La lignée des Acciaro trouve ses racines dans l’épisode du Sang’Noir au début de notre ère. Avant cette époque, la dynastie des Mérivar imposait ses lois au duché côtier. Or, lorsque la maladie atteignit la lagune, les Mérivar insistèrent pour gérer par eux-mêmes la crise et entrèrent directement en contact avec les damnés s’entassant à leurs portes. Lorsque la délégation noble entama ses négociations avec les gueux, une violente émeute se déclara, submergeant la garde ducale. À la fin de cette triste journée, les corps des dirigeants Mérivar gisaient au fond des canaux de Salvar tandis que le chaos s’emparait de la ville.
Afin de sortir la région de ce marasme, Sébastian Acciaro, amiral de la flotte de Salvar et puissant noble sans terre, offrit à l’ultime survivante des Mérivar, une jeune demoiselle nommée Allia, d’unir leurs deux familles dans les liens sacrés du mariage. En échange de l’argent et des contacts militaires des Acciaro, la Mérivar acceptait d’associer son nom à celui de Sébastian et de donner le nom de son époux aux éventuels héritiers. Évidemment, la conséquence directe d’un tel contrat était l’assimilation des Mérivar à sa moindre contrepartie. Néanmoins, cette alliance permit à Salvamer de survivre jusqu’à l’arrivée du Prophète. Ce n’est qu’en l’an 7 de l’ère royale, lorsqu’Allia décéda d’un souffle au coeur, que le nom des Mérivar s’éteignit définitivement. Succéda au rang de seigneur-palatin Sébastien puis, à l’âge de sa majorité, son fils, Vittario Acciaro.
De nos jours, Lorenzo Acciaro est connu pour sa passion des affaires navales. Contrairement à ses prédécesseurs, il s’est lui-même attribué le titre d’amiral de l’Escroix, l’armada de Salvar. La supposée intransigeance du seigneur envers tout ce qui ne concerne pas la Vaste-Mer ne serait adoucie, selon les rumeurs, que par son goût prononcé pour les artefacts et les beaux atours. En dernier lieu, en dehors de sa famille éloignée, Lorenzo est uni à Dondalla Sonta et est béni de deux enfants, Ezzra (22 ans) et Serinissa (19 ans).
La guerre des deux Couronnes
Salvamer fut gravement ébranlé par la guerre des deux Couronnes. D’une part, à l’exception de certains marchands tels que la famille Volpino ayant quitté le sol du palatinat avant même les premiers affrontements, la vaste majorité des Salvamerois étaient hostiles aux exigences des Désirants. Pour la plupart issus d’ancestrales lignées nobles, les nobles du palatinat refusèrent en bloc les propositions extrémistes des combattants du peuple. Ainsi, lorsqu’en 317 les armées populaires de Casteval déferlèrent sur l’ouest de Salvamer, ils se heurtèrent à une farouche résistance. Cependant, les partisans du peuple menés par le princesse Isabelle Delorme prirent note de cette antipathie et avancèrent intelligemment. Tandis que les hordes des Désirants s’abattirent sur le comté de Villeroc, les légions de la Garde de Saphir menées par le princesse Isabelle et ses chevaliers convergèrent vers le comté des Hautes-Plaines. Dans le premier cas, le comte Valencio Argoti de Villeroc tenta désespérément de tenir son château, mais, en l’absence de renforts rapides, il fut vaincu, capturé et pendu par les rebelles du peuple. Dans le second cas, la comtesse Francesca Delorme, sœur de la princesse Isabelle, refusa de croiser le fer avec sa parente et ordonna une retraite ordonnée et stratégique vers le comté de Côte-Rouge, sous le contrôle de son époux Jeremiah Delorme. Enfin, dans le comté des Saulnières au sud, les rebelles déjà bien implantés depuis des mois se mobilisèrent afin de capturer divers petits barons et la comtesse de l’endroit, Felicia Ondine. Ces seigneurs ne furent jamais retrouvés.
En l’espace de quelques semaines, la moitié de Salvamer tombait entre les mains des insurgés. Le seigneur-palatin Acciaro fut placé devant un dilemme terrible : prendre le parti du prince tel que ses serments de vassalité l’exigeaient ou rompre ses promesses afin de combattre aux côtés de la princesse Isabelle, elle-même conseillée par Serenissa Merizzoli, princesse douairière d’Ébène et mère du palatin. Finalement, Acciaro, en homme loyal, honora ses obligations et leva le ban contre les envahisseurs. En compagnie des comtes et comtesse Francesca Delorme des Hautes-Plaines, Vincenzo Vannezo d’Émeraude et de Jeremiah Delorme de Côte-Rouge –forcé par le prince lui-même à combattre-, la riposte s’organisa. Ce ne fut toutefois que deux ans plus tard, en 319, que la reconquête de l’ouest salvamerois put être complétée grâce au support inespéré des armées avhoroises.
Cependant, lorsque le seigneur-palatin Acciaro exigea de ses vassaux de poursuivre la princesse Isabelle dans ses ultimes retranchements, il se heurta à un refus catégorique de leur part. Autant les comtes et comtesse que les barons acceptaient de mater la révolte populaire, autant il leur faisait horreur de combattre la princesse. Outré par ces bris du serment de vassalité et après des mois de négociations infructueuses, Acciaro retira aux seigneurs mutins leurs titres et les confia à des partisans loyaux en 321. Francesca Delorme et Jeremiah Souard (ayant renié la famille Delorme en début de conflit) acceptèrent la décision, mais disparurent lors des semaines suivantes. Plusieurs autres membres de la petite noblesse –comme Cassandre de Haut-Bois et Hipazia Teone- n’attendirent toutefois même pas cette décision, abandonnant leurs positions pour rejoindre avec leur garde personnelle la princesse Isabelle après la défaite des Désirants sur leur sol.
Lorsque le conflit se termina en 321, le seigneur Acciaro exigea du prince Élémas IV qu’il épargne sa mère, Serinissa Merrizoli, ayant pourtant joué un rôle central dans la guerre civile. Le souverain se plier à la demande, incapable de refuser une faveur à un aussi fidèle vassal. Depuis, dame Serinissa vit cloîtrée dans un temple de Salvar, hautement surveillée par la garde palatine Acciaro.