L’esprit humain est tel une mare emplie d’une eau pure. En temps de troubles, l’eau se déplace, se soulève et menace de sortir de ses limites naturelles. Lorsque l’accalmie revient, l’eau regagne son lit et sa surface se fait aussi immobile que le roc des Namori. Certains produits ont l’étonnante faculté d’endormir l’eau troublée et de remuer l’eau stagnante. Pour les abrutis, individus malheureusement majoritaires en ce royaume, ces denrées constituent des drogues dont il faut se méfier. Pour les partisans de la liberté des moeurs, ces extraits naturels sont de fabuleux exutoires dont on ne saurait se priver.
La Veuve rouge, Baronne du crime d’Avhor
Les moeurs
En 159 de l’ère royale accéda au trône d’Ébène le seul Paurroi à avoir jamais régné sur le royaume. S’affublant du nom de Casimir le Sévère, il dirigea pendant près de cinq ans la cité d’Yr et les neuf palatinats d’une main de fer. Pour Casimir, les divertissements et les autres sources de plaisirs corporels constituaient de dangereuses tentations dans lesquelles l’humanité pouvait chuter, succombant de ce fait au pouvoir des ténèbres et de l’Enchaîné. Ainsi, au nom du Prophète et du Céleste, le prince corrésien leva une armée spéciale d’inquisition -Le Bataillon des Purs- et se lança dans un vaste projet d’éradication des « drogues et des célébrations nocturnes ». Du début de son règne jusqu’à sa mort à la suite d’une mystérieuse fièvre en 164, il pourchassa les fabricants d’alcool et d’autres produits altérant l’esprit et le corps, condamna les tavernes et les places de festivités et instaura dans le royaume d’Ébène un climat d’austérité et de piété.
Si la mort de Casimir le Sévère permit le démantèlement du Bataillon des Purs et la restauration du droit de consommer des alcools et de festoyer la nuit, les seigneurs palatins profitèrent de la faiblesse des cartels de drogues pour maintenir certaines interdictions liées à celles-ci. Au fil des années, les quelques alchimistes et herboristes doués pour la concoction de produits hallucinogènes sombrèrent dans l’illégalité et, se faisant pourchasser sans relâche par les autorités en place, commencèrent à troquer leurs laboratoires et ateliers pour les caravelles. En intégrant les rangs des Marchands libres des Écores -qui avaient échappé aux inquisitions du prince Casimir- et en préférant l’importation à la production, les criminels s’assuraient une plus grande mobilité et, par conséquent, des chances de survie accrues. Dès lors, la drogue devînt synonyme de piraterie, d’extorsion, de menaces subtiles et de corruption.
Avec le temps, les Ébénois en sont venus à oublier les effets néfastes réels des drogues telles que la fleur-de-jade, l’écorce de jais et le sel firmori. La perception générale par rapport à ces produits illicites est donc aujourd’hui fort mitigée. D’un côté, les Ébénois aux prises avec les côtés obscurs de l’importation de drogues se montrent habituellement extrêmement réticents à les légaliser. À Cassolmer, Salvamer, Avhor et Pyrae, là où les Marchands libres des Écores déploient l’essentiel de leurs tentacules, le peuple soutient généralement les décrets de prohibition princiers et palatinesques. Inversement, dans les provinces où les Écores n’ont qu’une faible influence, l’attrait pour les produits illégaux et exotiques va toujours en s’intensifiant. Surtout à Felbourg, les cartels cherchent constamment à s’approprier ces denrées rares pour satisfaire les bons plaisirs des bourgeois en quête de sensations fortes.
Dans l’ignorance des véritables effets des drogues étrangères, chaque Ébénois se forge sa propre opinion en fonction de ses expériences en lien avec ces dernières et avec les criminels qui les importent.
Les coutumes
La plupart des drogues étant peu connues dans le royaume d’Ébène, aucune coutume particulière n’encadre leur utilisation. Contrairement aux hérétiques de la Ligue d’Ardaros pour qui la consommation de fleur-de-jade est empreinte d’une profonde signification religieuse, les membres de la bourgeoise et de la noblesse ébénoises s’adonnent à l’ivresse de la fumée pour le simple plaisir de la chose. Évidemment, nul ne se vantera publiquement de cette habitude, cette dernière étant passible d’amendes, de châtiments corporels et, dans le cas extrême des marchands contrebandiers, de mort.
En l’an 314 de l’ère royale, ce sont à la fois le prince et les seigneurs-palatins qui maintiennent les interdits liés à la drogue. S’il advenait que l’un ou l’autre des paliers de pouvoir modifie sa législation à ce sujet, une vaste querelle idéologique en naîtrait assurément.