Le Céleste tendit sa main et offrit sa paume. Par cette paume, il donna, protégea et éleva. […] Mais approche le jour béni où le dôme des cieux scintillera de mille feux et témoignera de l’amour du dieu. Tel le diamant ornant le sceptre, les pieux des sommets disperseront par leur seul regard les ténèbres de l’Enchaîné et guideront les âmes perdues comme le phare dans la tempête. J’ai vu cette fin, cette hécatombe, et, tous ensemble, nous devons nous y préparer afin que la lumière perdure malgré l’obscurité.
Témoignage de l’Ascension, Recueil des Témoins
Les terres
La capitale spirituelle du royaume d’Ébène est assurément le palatinat de Val-de-Ciel. Couvrant le Nord des monts Namori, Val-de-Ciel fut fondé par des adeptes du Roi-Prophète qui aspiraient à reconstituer l’histoire de sa venue. Au fil des expéditions dans les montagnes, des regroupements de fidèles choisirent de s’établir dans les vaux les plus hospitaliers afin de se rapprocher du Céleste. La logique était simple : se rapprocher des cieux afin de se rapprocher du dieu. C’est vers le milieu du premier siècle de notre ère que plusieurs communautés décidèrent d’unir leurs efforts afin d’ériger une cité spirituelle sur le plateau habitable le plus élevé des monts, “la Main céleste”. D’abord modeste, la ville -baptisée Haut-Dôme- devint avec les décennies un lieu de pèlerinage prisé par les fervents du royaume d’Ébène.
Aujourd’hui, Haut-Dôme est la terre de rencontre des éminences célésiennes. Même si tous soupçonnent que le sol du palatinat est riche en métaux de toutes sortes, l’économie de la province repose depuis des décennies sur le « tourisme » religieux qui s’y opère. Effectuer un pèlerinage dans les montagnes constitue, pour la plupart des sujets du royaume, un projet pour lequel ils économisent toute leur vie durant. Dès lors, lorsqu’ils finissent par se déplacer vers Haut-Dôme, les pèlerins portent avec eux les biens qui iront enrichir les coffres du palatinat. Pour cette raison, la Compagnie du Heaume, congrégation religieuse militarisée, veille à la protection des voyageurs par le biais d’escortes dans les sentiers périlleux des montagnes. Effectivement, si Haut-Dôme est un lieu sécuritaire et sanctifié, le reste de Val-de-Ciel est l’objet de peu de surveillance de la part des autorités. La plupart des habitants ruraux des vaux élèvent sans grande prétention des troupeaux de bétails divers (moutons dans les vallées, chèvres dans les hauteurs) et il est ainsi plutôt aisé pour des individus mal intentionnés d’échapper aux patrouilles organisées par le seigneur-palatin. À l’est, articulées autour du célestaire du fief des Hautes-Terres, diverses colonies furent établies à l’initiative de la Compagnie du Heaume et du commandant Jean Lamontagne. Depuis la réouverture des routes commerciales et l’expulsion des forces Véritas en 321, un vent de développement inégalé s’est levé sur les montagnes autrefois délaissées.
Hors des vaux principaux, quelques nobles résidant sur le versant nord des montagnes servent Val-de-Ciel depuis plusieurs générations. Pieux Célésiens, ces seigneurs se perçoivent habituellement comme les gardiens de l’entrée de la sainte province. Leurs terres sont essentiellement regroupées dans la région des Criffes, là où le fleuve de la Laurelanne se ramifie en trois affluents aux lits incertains. En ces lieux sont aussi installés les quartiers principaux de la Compagnie du Heaume. Les frontières australes du palatinat, quant à elles, sont fort délaissées. D’anciennes routes commerciales traversent les monts et mènent à la lointaine et lugubre république-fantôme de Firmor, mais seuls les marchands les plus téméraires osent s’y aventurer. Néanmoins, avec la construction de nombreuses infrastructures dans le comté des Gorgias, les regards lorgnent de plus en plus vers le sud.
Le peuple
Le peuple du commun de Val-de-Ciel semble vivre hors du temps. Loin des conflits des cours du royaume d’Ébène, il s’adonne à l’élevage au rythme des saisons, fuyant les hauteurs lors des grands froids et délaissant les pieds des montagnes en été afin d’éviter les contacts avec les Corrésiens ou les Sarrens. Spiritualité et élévation de l’âme sont les maîtres mots des Valéciens, qui descendent des plus fervents pèlerins du début de notre ère. La haute société du palatinat, quant à elle, est intimement liée aux diverses congrégations religieuses implantées dans la région. Tous les nobles sont conscients que leur autorité est directement assise sur la ferveur religieuse des sujets du royaume et, pour cette raison, ils n’hésitent pas à entremêler foi et politique. Néanmoins, bien malin serait celui qui pourrait déterminer quel noble est véritablement pieux ou non.
Cela dit, là où il y a prosélytisme religieux, il y a dissidence. D’abord légendes parmi les Valéciens, les hérétiques appelés « Véritas » furent observés et combattus en 321 et 322. S’étant emparés des territoires orientaux des montagnes, ces blasphémateurs niant l’existence du Céleste s’étaient fortement militarisés grâce à l’aide d’un ancien chevaucheur sarrens, Zygfry dit le Vautour. Ce n’est que grâce aux sacrifices considérables du comte-protecteur Rénald de Montboisé et de ses vassaux que ces criminels purent être pourchassés et éradiqués. En septembre 322, tout portait à croire que les Véritas avaient complètement déserté les monts Namori. Malheureusement, la proximité d’imposantes forces firmories au-delà du pont des Gorgias, au sud, remplaça cette menace criminelle dans le cœur des Valéciens.
Finalement, sur le plan vestimentaire, les Valéciens optent le plus souvent pour des toges amples ou des manteaux longs. Les couleurs du Céleste (bleu, argent et rouge) sont les plus prisées à Haut-Dôme tandis que, dans les vaux, le confort est de la première importance, la vie dans les montagnes ne pardonnant pas à celui qui s’encombre d’apparats futiles.
La famille
Ŀe Val-de-Ciel est le résultat des incommensurables efforts déployés par la famille Arhima afin d’ériger un bastion de la foi au sein du royaume d’Ébène. Au lendemain de la mort du Roi-Prophète en l’an 25 de l’ère royale, Thorstein Arhima, un jeune prêtre de Felbourg guidé par la voix du Céleste, entreprit comme des milliers de fidèles le long pèlerinage menant à la Main Céleste. Cependant, contrairement à cette masse de croyants, lorsqu’il atteint sa destination, il décida d’y demeurer afin de faire hommage au Dieu. À force de négociations, de tractations et de collectes de fonds, il gagna les faveurs de la plupart des seigneurs-palatins qui, en l’an 75, acceptèrent d’intégrer Haut-Dôme et, conséquemment, Val-de-Ciel au conclave des palatinats. Déjà, Thorstein était l’objet d’une profonde vénération de la part de ses concitoyens et son ascension au titre de seigneur ne fut dans la région qu’une simple formalité. Le premier noble Arhima rendit l’âme à la quatre-vingtième année de notre ère, à l’âge vénérable de 76 ans.
L’accession à la noblesse est fort particulière dans les monts et les vaux du Sud. Contrairement au reste du royaume -exception faite de Sarrenhor- où le pouvoir nobiliaire est légué au premier-né (garçon ou fille) de la famille selon le système de primogéniture, les héritiers des mesnies de Val-de-Ciel sont déterminés à la fois par leur sang et par les congrégations religieuses célésiennes. Il est en effet du ressort de chaque famille d’obtenir l’approbation d’au moins trois congrégations du royaume d’Ébène -préférablement présentes en Val-de-Ciel- afin d’officialiser la succession d’un seigneur. Dans le cas contraire, le jeune noble sera rejeté des institutions religieuses de la province et ostracisé par la haute société. En somme, le cadet, s’il démontre une intense piété dépassant celle de ses aînés, pourra hériter des titres avant ces derniers. Le sang suggère, la foi confirme.
En l’an 322, le seigneur-palatin de Val-de-Ciel est Vorsen Arhima. Benjamin d’une famille de quatre enfants, il fut remarqué lors de son enfance par la Compagnie du Heaume, le Haut Pilier et les Aurésiens. À la mort de sa mère, la palatine Lydera Arhima de Haut-Dôme, il prit la tête du palatinat et fit preuve d’une immense générosité en incluant systématiquement ses deux soeurs et son frère aux prises de décisions. Malgré sa relative jeunesse et un caractère bienveillant et conciliant, Vorsen demeure sans épouse ni enfant. Le comte-protecteur valécien, quant à lui, est Rénald de Montboisé. Ambitieux noble ayant connu une fulgurante ascension sociale lors de l’année 321, le comte de Montboisé est toutefois loin de faire consensus dans le royaume. Sa vision spécifique du Val-de-Ciel et sa gestion étroite des affaires politiques du palatinat suscitèrent moult suspicions à son égard.
La guerre des deux Couronnes
Le Val-du-Ciel fut le seul palatinat qui se tînt complètement hors de la guerre des deux Couronnes. Bien sûr, à quelques reprises les Valéciens frôlèrent le pire, mais toujours furent-ils épargnés. Par exemple, en 316, la Compagnie du Heaume, occupant les Criffes et détenant des colonies juchées dans les montagnes orientales, durent jongler avec des guerres les opposant à l’Ordre de l’Illumination et au clan des Vors du Sarrenhor. Toutefois, dans les deux cas, la diplomatie fit son œuvre et les conflits furent circonscrits. Ainsi, lorsque la princesse décréta l’indépendance de l’est du royaume la même année, aucun Valécien de haut rang ne se tenait à ses côtés.
Pendant les cinq années que dura la guerre, le palatin Arhima se réfugia dans une position religieuse conservatrice. Selon lui, le rôle du Val-de-Ciel n’était pas de choisir entre un prince partisan de la noblesse ou une princesse s’affirmant mère du peuple. Au contraire, il devait plutôt préserver l’héritage légué par le Roi-Prophète tout en protégeant chacun des Célésiens d’Ébène. Cette vision du rôle du Val-de-Ciel fut partagée avec le prince Élémas IV et la princesse Isabelle dès le lendemain de la dernière tractation du palais d’Yr. Bien qu’elle fut reçue plutôt froidement par ses destinataires, cette annonce fut acceptée. Effectivement, autant pour le prince que pour la princesse, mieux valait compter le Val-de-Ciel parmi les provinces neutres que parmi leur ennemis.
Joignant les actes à la parole, le seigneur Arhima ordonna en l’année 317 la fermeture presque complète des frontières valéciennes. Pendant près de quatre ans, chaque convoi de pèlerins, de marchands ou de voyageurs fut arrêté au pied des monts Namori, inspecté, questionné et surveillé. Nul prosélyte des causes politiques ne devait être accepté dans les montagnes, tout comme aucune armée ne devait trouver refuge à l’intérieur des frontières du palatinat. Sur le plan commercial, les autorités limitèrent au maximum les échanges avec les partenaires susceptibles de servir directement l’un ou l’autre des camps en guerre.
Deux événements marquants troublèrent toutefois la quiétude des Valéciens lors de cette période funeste de l’histoire ébénoise. Premièrement, dès le début de l’année 320, lorsque la guerre sainte de la Compagnie du Heaume prit la route du Vinderrhin, les chemins sinueux des montagnes commencèrent à être pris d’assaut par des larrons d’origine inconnue. Les embuscades et pillages débutèrent dans l’est du palatinat, à proximité du fief des Hautes-Terres du Témoin des Témoins Jean Lamontagne, puis se répandirent lentement mais surement vers l’ouest. Ce n’est qu’après plusieurs attaques que des corrélations purent être produites et qu’on découvrit que les malfrats s’en prenaient prioritairement aux convois religieux. Sans scrupule, ceux-ci piégeaient les pèlerins et ecclésiastiques, les rossaient et leur subtilisaient leurs biens, qu’ils soient sacrés ou non. Cette situation devint à ce point problématique que le seigneur Arhima confia à ses propres armées personnelles la responsabilité de sécuriser les routes valéciennes. Néanmoins, les Valéciens allaient devoir attendre l’intervention des seigneurs valéciens menés par Rénald de Montboisé en 321 avant de pouvoir expulser ces criminels.
Deuxièmement, en 321, le comte de l’Ascension rapporta au seigneur de Haut-Dôme que des cohortes mystérieuses avaient été aperçues en bordure de son territoire, au sud. Après investigations, celles-ci s’avérèrent provenir de la République-Fantôme du Firmor, contrée pratiquement inaccessible au-delà des monts Namori. Pour une raison obscure, les Firmori avaient entrepris de reconstruire le pont des Gorgias, abandonné en 314 par les Ébénois suite à moult attentats destructeurs. En quelques mois, les étrangers réussirent à créer un lien terrestre entre leur propre nation et les montagnes valéciennes. Par contre, lorsque les premiers marchands ébénois, attirés par l’appât du gain, tentèrent de franchir ce pont afin de mener leurs affaires chez le voisin du sud, ils furent froidement renvoyés d’où ils venaient. Aucun Firmori ne franchit les frontières valéciennes.